Trump banni de Facebook: «Ce n’est pas aux GAFA de décider de ce qu’on peut dire ou ne pas dire»

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 «Ce n’est pas aux GAFA de décider de ce qu’on peut dire ou ne pas dire»FIGAROVOX/TRIBUNE - Twitter, Facebook et YouTube ont tous à leur manière censuré le Président

américain ces derniers jours, et pour l’analyste politique Mathieu Slama, cette censure doit pousser à s’interroger sur l’état des libertés publiques en Occident ainsi que les risques que font peser ces multinationales sur la liberté d’expression.

Consultant et analyste politique, Mathieu Slama collabore à plusieurs médias, notamment Le Figaro et Le Huffington Post. Il a publié La guerre des mondes, réflexions sur la croisade de Poutine contre l’Occident, (éd. de Fallois, 2016).

Pendant que le monde avait les yeux rivés vers le Capitole, un autre événement a eu lieu, laissant muet la plupart des commentateurs alors qu’il revêt une importance considérable, peut-être même supérieure à l’insurrection des supporters de Trump.

Le même jour que les émeutes du Capitole, Twitter, Facebook et YouTube ont censuré plusieurs contenus publiés par Trump. Twitter a ainsi publié sur son compte dédié à la «safety» un communiqué exigeant de Trump qu’il retire trois tweets qu’il a postés dans cette journée au sujet des événements du Capitole, annonçant que la plateforme bloquait son compte Twitter pendant douze heures, à l’issue desquelles ils poursuivraient le blocage si Trump n’avait pas retiré ses tweets d’ici là (ce qu’il a fini par faire).

Dans le même temps, Facebook a suspendu pour vingt-quatre heures le compte de Trump sur la plateforme ainsi que sur l’application Instagram. Et YouTube a supprimé également une vidéo postée par Trump dans laquelle il appelait ses supporters à rester calme tout en déplorant une élection volée.

Il faut aussi rappeler le contexte, qui n’est pas neutre. Cela fait des mois que Trump est en guerre contre les GAFAM

On a, lors de cette fameuse journée du 6 janvier, incontestablement franchi une étape. C’était d’ailleurs la première fois que Twitter censurait le président américain pour un autre motif qu’une violation du droit d’auteur. Il y a là quelque chose d’extraordinairement inquiétant dont il faut, ici, dire quelques mots.

Le premier problème que pose cette décision des plateformes, c’est l’argumentation derrière cette censure. Selon Twitter, les tweets de Trump, parce qu’ils ont à voir avec les violences de ses supporters, ont contredit les règles de la plateforme en matière de «menaces violentes». C’est donc sur la base de ses propres règles d’expression que Twitter a censuré Trump. Mais ni les tweets de Trump ni sa video censurée ne sont des appels à la violence, et c’est là toute la complexité du sujet qui nous intéresse.

Dans ses propos, le président américain évoque son indignation quant aux résultats des élections et appelle ses partisans à marcher jusqu’au Capitole mais il leur demande d’agir de manière pacifique et dans le respect des forces de l’ordre. Que l’on puisse voir, comme l’ont fait de nombreux observateurs, un lien de cause à effet entre ce qu’a dit Trump et l’insurrection de ses partisans, c’est une chose. Mais on ne peut pas affirmer, de manière certaine et définitive, que les propos de Trump ont abouti à ce qui s’est passé. Cette nuance est importante, parce qu’elle implique que Twitter et les autres plateformes ont, dans cette affaire, outrepassé leurs droits.

Il faut aussi rappeler le contexte, qui n’est pas neutre. Cela fait des mois que Trump est en guerre contre les GAFAM. C’est sous son mandat que l’autorité de la concurrence américaine a annoncé fin décembre poursuivre Facebook en justice en demandant à la cour d’envisager une séparation avec ses filiales Instagram et WhatsApp. C’est aussi sous son mandat que le ministère de la Justice et onze États ont déposé, en octobre, une plainte contre Google pour abus de position dominante dans la recherche et la publicité en ligne.

« lls ont le pouvoir non contrôlé de censurer, éditer, dissimuler ou modifier toute forme de communication entre des individus et de larges audiences publiques »

Donald Trump

C’est encore sous son mandat que la Federal Trade Commission a, en juillet 2019, condamné Facebook à 5 milliards de dollars d’amende, pour avoir autorisé en 2018 la firme de conseil britannique Cambridge Analytica à puiser dans les données de quelque 50 millions d’utilisateurs sans le leur notifier (battant allégrement la précédente amende record de… 22,5 millions contre Google). Enfin, Trump accuse depuis plus d’un an Google, Facebook et Twitter de censurer ses partisans et de limiter la liberté d’expression, allant jusqu’à signer un décret (non appliqué) en mai 2020 dont l’ambition est de modifier une loi de 1996 qui donne aux plateformes en ligne la liberté de décider de censurer ou non les publications.

En présentant ce décret, Trump s’est justifié ainsi: «Nous sommes ici pour défendre la liberté d’expression face à un des pires dangers qui soit. (…) Ils ont le pouvoir non contrôlé de censurer, éditer, dissimuler ou modifier toute forme de communication entre des individus et de larges audiences publiques». Cette décision est intervenue alors que Twitter avait accolé pour la première fois la mention «Vérifiez les faits» sur deux tweets du président américain dans lesquels celui-ci accusait le vote par correspondance d’être frauduleux. Il y a donc, dans cette histoire, un historique turbulent entre Donald Trump et les GAFAM qui ne peut pas être occulté dans les tentatives d’explication de ce qui vient de se passer.

Mais cette censure doit nous interroger, plus fondamentalement encore, sur l’état de nos libertés publiques aujourd’hui et sur les risques que font peser les multinationales sur la liberté d’expression. On le sait, nombreux sont ceux qui réclament de la part des plateformes en ligne une modération plus stricte et rigoureuse des contenus, au nom de la lutte contre les «discours de haine», contre les fake news et contre le complotisme. On retrouve, chez la plupart de ces partisans de la modération, des gens tout à fait démocrates qui se disent eux-mêmes défenseurs des libertés publiques.

On s’étonne donc qu’ils ne voient pas l’immense contradiction entre cet appel à la censure (par des multinationales, qui plus est) et leurs convictions politiques, et qu’ils soient à ce point aveugles sur les dérives liberticides inévitables qu’une telle boîte de pandore rendrait possible. Que Trump ait été, dans cette histoire, plus démocrate et libéral que beaucoup de ses adversaires doit nous interroger sur l’incroyable régression liberticide dans laquelle nous sommes plongés depuis plusieurs années.

De quel droit une entreprise privée peut-elle censurer un chef d’État ?

La question qui devrait se poser à tout défenseur de la liberté est la suivante: de quel droit une entreprise privée peut-elle décider d’une information qu’elle est vraie ou fausse, qu’elle est bonne ou mauvaise, qu’elle est inoffensive ou dangereuse? De quel droit une entreprise privée peut-elle censurer un chef d’État? Les lois sur les contenus haineux existent, et chacun qui se sentirait lésé par un tweet, une vidéo ou un message Facebook a le droit de saisir la justice. Pourquoi les plateformes en ligne s’autosaisiraient-elles?

On a beaucoup reproché à Facebook, notamment, son absence de modération lors des élections américaines de 2016, et plus généralement son approche très permissive de la liberté d’expression. Mark Zuckerberg défendait jusqu’à récemment une approche plutôt raisonnable, qui consistait à dire que les plateformes ne peuvent s’ériger en «arbitre de la vérité sur tout ce que les gens disent en ligne», et que ce n’est pas à elles d’émettre un jugement de valeur sur tel ou tel contenu. Il semble que Facebook ait été contraint, sous la pression médiatique et politique, de réviser cette approche.

C’est souvent au nom de très bonnes intentions que les pires dérives ont lieu. Il n’en va pas différemment de ce débat autour de la modération des plateformes. Ceux qui prônent une modération plus stricte des plateformes sont persuadés qu’ils rendent service à la démocratie, alors même qu’ils la fragilisent dans ses fondations mêmes. Car permettre à une entreprise privée de censurer un contenu parce qu’il serait contestable, cela signifie qu’on lui accorde le droit de dire le vrai ou le faux.

Cela veut dire qu’on donne à cette entreprise un pouvoir exorbitant sur ce qu’on a le droit de dire et de ne pas dire, et qu’on lui donne la possibilité d’influencer de manière considérable l’opinion publique, les campagnes électorales, les choix politiques, etc. Tout démocrate attaché aux valeurs de liberté devrait au contraire s’inquiéter d’une telle dérive, au sein de nos démocraties déjà minées par des atteintes permanentes à la liberté d’expression (que ce soit l’insupportable «cancel culture» qui est en réalité une haine du débat et de la contradiction, le retour du blasphème et des minorités qui entendent décider de ce qu’une jeune fille peut dire ou non sur les réseaux sociaux ou de ce qu’un caricaturiste peut dessiner ou non ; les polémiques grotesques sur tel ou tel propos excessif d’un polémiste, etc.).

La liberté d’expression implique qu’elle puisse blesser autrui, qu’elle puisse transgresser certaines règles, qu’elle puisse choquer

Plus on fixe des limites à la liberté d’expression, plus ces limites prennent le pas sur toutes nos libertés. Une société libre ne l’est jamais vraiment si cette liberté est sans cesse entravée au nom d’une morale souvent relative et toujours intolérante. Une société libre ne peut l’être réellement que si elle admet la possibilité de la transgression.

La liberté d’expression implique qu’elle puisse blesser autrui, qu’elle puisse transgresser certaines règles, qu’elle puisse choquer. Si ce n’est pas le cas, alors elle n’existe pas. Car, comme disait Camus, «on est toujours libre au dépend de quelqu’un». La liberté est à ce prix, toujours.

Par lefigaro.fr

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