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La réactivation des tensions s’articule avant tout autour de l’élection présidentielle du 27 décembre et donc de l’accès au pouvoir en République centrafricaine (RCA). Le scrutin a vu dès le premier tour le professeur Faustin Archange Touadéra être réélu, mais ce résultat a été vivement contesté tant par l’opposition politique que par les groupes armés. Mi-décembre, ces derniers avaient en effet créé un nouveau mouvement: la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), destiné à empêcher la tenue du vote et à renverser le pouvoir, en vain.
La CPC semble liée à l’ancien chef de l’Etat François Bozizé, dont la candidature à la présidentielle avait été retoquée. Dans les faits, elle agit pour des motifs bien plus égoïstes, comme le montre son étrange hétérogénéité. Elle rassemble des groupes anti-balaka, une insurrection majoritairement chrétienne et historiquement proche de Bozizé, des rébellions plutôt musulmanes comme le groupe 3R (Retour, réclamation, réhabilitation), le MPC (Mouvement patriotique pour la Centrafrique) ou l’UPC (Unité pour la paix en Centrafrique), dont les leaders ont directement participé au coup d’Etat contre le même Bozizé en 2013.
Ces mouvements qui contrôlent les deux tiers du pays se battent essentiellement pour conserver leurs prébendes et leurs alliances mais ne vont pas au-delà, souligne Hans De Marie Heungoup, du centre de réflexion International Crisis group (ICG). En dépit des troubles, le gouvernement, appuyé par l’Union européenne et la communauté internationale, a néanmoins maintenu le vote. « Il était impossible de céder à la pression des groupes armés », se justifie un diplomate.
Au final, seule la moitié des inscrits a pu s’exprimer, plombant la légitimité du scrutin et du président. « Le soutien à l’organisation d’une élection dans ces conditions est incompréhensible, dénonce Nathalie Dukhan, de l’ONG The Sentry; la communauté internationale est dans le déni et refuse de voir que cette crise électorale ne fait que s’ajouter aux autres crises ».
POURQUOI LA RUSSIE EST-ELLE INTERVENUE?
L’échec de la CPC à exécuter son plan qui consistait à prendre Bangui pour renverser le gouvernement, est lié à l’intervention des forces russes. Moscou est intervenu militairement en Centrafrique en janvier 2018 en soutien du gouvernement alors très faible, profitant du vide laissé par la communauté internationale, en particulier de la France. « En échange de cette protection, la République centrafricaine a abandonné beaucoup de sa souveraineté », souligne, dans un rapport publié en octobre, l’Atlantic Council. Cette aide a consisté à fournir à l’armée centrafricaine (FACA) en armes, en spécialistes pour la formation et en soldats. Ces hommes sont très rarement des troupes régulières, mais plutôt des employés de Wagner, une société militaire privée très proche du Kremlin. Ce sont ces mercenaires qui ont été déployés en masse à la fin décembre en Centrafrique et ont permis de repousser la CPC. On évoque plusieurs centaines d’éléments appuyés notamment par des avions de reconnaissance; ils ont rendu impossible la prise de Bangui. « Il s’agissait pour Moscou de sauver son allié et de montrer sa détermination », souligne un observateur.
Cette intervention russe pose d’autres questions. La première est d’abord tactique. S’il est assez simple de ‘’conserver’’ Bangui, rappelle l’observateur, il est nettement plus compliqué de détruire une rébellion et de contrôler le reste du pays. La CPC a ainsi attaqué samedi Bouar, une ville à 340 kilomètres de la capitale. Ensuite, ce type d’opération coûte cher, et les finances centrafricaines sont au plus mal. « Ce problème du paiement est crucial, car on peut douter que les institutions internationales continuent de financier le budget s’il sert ouvertement à payer des mercenaires. Les Russes risquent donc de se payer sur la bête », explique un responsable africain.
Y A-T-IL UN RISQUE INTERNATIONALISATION DE LA CRISE?
C’est sans doute l’un des grands paradoxes de cette crise. Alors que le sort de la petite Centrafrique et de ses 5 millions d’habitants intéresse très peu pour ne pas dire pas du tout le reste du monde, la crise s‘est en fait déjà internationalisée. Outre les troupes russes, le Rwanda a aussi envoyé un fort contingent fin décembre à Bangui. Ses soldats ont joué un grand rôle dans le combat contre les CPC. Officiellement, Kigali assure que ce contingent ne sert qu’à soutenir les soldats rwandais engagés au sein de l’ONU et attaqués par les rebelles. Dans les faits, les Rwandais comme les Russes veulent avant tout sauvegarder leurs accès aux mines et particulièrement aux diamants, note un homme d’affaires local.
Ces menées ne sont pas passées inaperçues dans la région, d’autant plus que ces pays disposent presque tous des soldats au sein des casques bleus de la Mission des Nations unies (MINUSCA). « Il est évident que le Tchad et le Congo regardent de très près ce qui se passe chez leurs voisins, souligne Thierry Vircoulon, chercheur à l’Institut français des relations internationales (IFRI). Brazzaville et Ndjamena, qui considèrent volontiers la Centrafrique comme leur protectorat, voient d’un mauvais œil l’activisme du Rwanda pour l’heure; les présidents Denis Sassou N’Guesso et Idriss Deby sont occupés à assurer leur réélection lors de scrutins prévus en mars et en avril prochains. Mais, selon plusieurs sources, ils pourraient être tentés ensuite d’influer sur la situation, notamment en apportant un soutien aux groupes armés. Le président Faustin Archange Touadéra, qui entretient des relations tendues avec plusieurs de ses pairs, va devoir se montrer très ingénieux pour éviter un tel scénario.
LA FRANCE A-T-ELLE ENCORE UN RÔLE Á JOUER?
L’ancienne puissance coloniale qui, des décennies durant, a fait office de vice-roi dans le pays, semble désormais sur la touche. Les militaires français qui avaient l’habitude de dire qu’ils « intervenaient tous les dix ans à Bangui » regardent cette fois de loin le conflit. La fin brusque des Sangaris, la dernière opération française en octobre 2016 et contre l’avis du gouvernement centrafricain, a créé un vide. Un vide que Moscou s’est empressé de combler, à la grande surprise de Paris, désemparé par la brusquerie russe dans un Etat où il se pensait sans concurrent.
« L’Union européenne et la France n’ont aucune politique en Centrafrique. Paris est totalement paralysé par les Russes », analyse Roland Marchal, chercheur au CNRS. Les voix de Paris et de Bruxelles sont donc largement inaudibles, alors même que l’Union européenne reste de loin le premier bailleur de fonds. La France tente de reprendre pied avec difficulté. L’appel téléphonique entre Emmanuel Macron et Faustin Archange Touadéra illustre d’une certaine manière cette impuissance. Alors que le président français accédait un peu à la demande de soutien militaire de son homologue en faisant survoler les rebelles par des Mirages 2000, les attaques antifrançaises dans la presse et sur Internet n’ont pas cessé. Samedi, après un second entretien téléphonique entre deux hommes, un nouveau survol d’appareils français a eu lieu.
L’intervention rwandaise, main dans la main avec les Russes, au moins pour l’instant, ne fait que compliquer les choses. Macron, qui comme ses deux prédécesseurs, a fait de la normalisation des relations avec Kigali l’une de ses priorités en Afrique, tient à éviter toutes tensions avec ce pays. La France garde cependant quelques atouts. Outre sa connaissance du pays, elle conserve des liens forts avec plusieurs acteurs de la région, notamment le Tchad et le Congo.
QUELLES SONT LES VOIES DE SORTIE?
Elles apparaissent en ce moment extrêmement étroites. L’accord de Khartoum, signé entre les groupes rebelles et le gouvernement sous l’égide russe en février 2019, a volé en éclats. Il avait été conclu uniquement dans la perspective de pouvoir organiser calmement la présidentielle, et il a échoué. Les soi-disant alliés d’hier sont désormais antagonistes, décrypte Roland Marchal. Les FACA se trouvent face à face avec les insurgés, les durs du gouvernement se sentant renforcés par leurs liens avec les Russes et les Rwandais, qui poussent à la confrontation. Le pouvoir n’a pour l’instant donné suite aux tentatives de la CEEAC, l’organisation régionale, d’organiser une médiation, privilégiant la confrontation.
Il faut faire attention. Si le gouvernement ne semble pas chercher l’opposition, les rebelles ne veulent pas plus la paix et se fichent autant des populations, rappelle un diplomate. Une médiation s’annonce d’autant plus délicate que les groupes armés ont tous des ambitions très différentes. Dans ce contexte, le risque que les civils subissent de lourdes pertes est réel. « Trouver un cadre de discussions va être difficile, car les acteurs de l’opposition politique ont totalement été mis de côté au profit des seuls groupes armés », déplore Nathalie Dukhān.
Par Tanguy Berthemet, Le Figaro
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