Entre répression et arrestations, au Cameroun les pro-Kamto continuent de résister

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Yaoundé, Cameroun
Malgré la répression contre les pro-Kamto, son mouvement ne baisse pas les bras. Les partisans de
cet opposant à Paul Biya poursuivent leur «plan de résistance» en revendiquant «la victoire à la présidentielle». Entre marches interdites et arrestations, le parti de Kamto va-t-il parvenir à complètement rebattre les cartes électorales? Décryptage.
«La première chose, c’est de parvenir à réitérer chaque jour notre détermination en refusant l’arbitraire par lequel on voudrait mettre sous le boisseau certains droits reconnus aux citoyens camerounais. Et donc de faire la preuve que la constitution camerounaise permet, encadre, autorise l’expression libre des manifestations au Cameroun. À moins de changer la constitution et les textes internationaux qui garantissent ces droits, le régime illégitime de Yaoundé et le Président qui le dirige devront s’y faire», s’insurge Bibou Nissack, porte-parole de Maurice Kamto au micro de Sputnik à l’occasion des dernières marches organisées pour revendiquer la victoire à la présidentielle de 2018 au Cameroun et la libération de leurs militants.

Alors que les principaux cadres du parti de Maurice Kamto ont été arrêtés et mis en prison à la suite de ces marches interdites par les autorités, les partisans du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) poursuivent leur «plan de résistance». Samedi 8 juin, le camp de celui qui est considéré comme le principal opposant aujourd’hui au Président sortant au Cameroun a annoncé une centaine de nouvelles arrestations à l’issu de manifestations à nouveau étouffées par la police dans la capitale administrative du pays, Yaoundé.
«La dictature [de Paul Biya, ndlr] a militarisé toute la capitale. Arrestations dans les quartiers périphériques, rafles, délits de faciès, question d'étouffer dans l'œuf les marches pacifiques. Des centaines de soldats, policiers, miliciens en civil, outre de mouchards dans toute la ville», indique la page officielle du porte-parole du parti qui dresse le bilan des arrestations dans les rangs du MRC.

Ce à quoi le gouvernement de Yaoundé a aussitôt rétorqué, poursuivant sa guerre de l’information contre le MRC, quant au nombre et à la qualité des personnes arrêtées. Si le parti de Maurice Kamto affirme que les personnes arrêtées le 8 juin étaient des militants du MRC, le ministère camerounais de la Communication a opposé un démenti ferme:
«Tentatives de marches illégales au Cameroun: le 08/06/19 à Yaoundé. 66 individus ne se réclamant d’aucun parti politique, interpellés par la police: 43 libérés. 19 individus appréhendés par la gendarmerie: 11 libérés. Les autres le seront après les procédures d’usage», signale le compte Twitter du porte-parole du gouvernement, René Emmanuel Sadi.
Une semaine plus tôt, le 1er juin, environ 350 autres sympathisants du MRC avaient été arrêtés lors d’une marche similaire. Depuis, une centaine a été libérée mais le vice-président du MRC, Mamadou Mota, interpellé ce jour-là, n’a toujours pas été relâché, tout comme une centaine d’autres personnes.

Au-delà de la dynamique de répression actuellement en cours contre les partisans de Maurice Kamto, c’est le risque d’un élargissement de l’assise du MRC qui inquiète les autorités de Yaoundé. La forte mobilisation des foules pendant les meetings de la campagne présidentielle de 2018 jusque dans les régions septentrionales du Cameroun, très souvent présentées comme la chasse gardée du RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), le parti au pouvoir sur lequel s’appuie Paul Biya depuis bientôt 40 ans pour rester au pouvoir, est particulièrement ressenti comme une menace.
Face à la machine de guerre du RDPC, qui est né à Bamenda dans la région anglophone du nord-ouest en 1985 des cendres de l’Union nationale du Cameroun (UNC), l’ancien parti unique fondé par Ahmadou Ahidjo dont Paul Biya fut le Premier ministre, Maurice Kamto a réussi une percée électorale lors des dernières présidentielles, contestée jusqu’à ce jour par une commission électorale et une administration, toutes deux entièrement acquises à Paul Biya.

Aussi, même si les autorités actuelles tentent de relativiser la capacité de mobilisation des partisans de Maurice Kamto, l’hypothèse d’une arrivée au pouvoir du MRC commence à véritablement inquiéter le sérail présidentiel malgré l’emprisonnement de ses cadres et les tentatives de réduire au silence son leader par tous les moyens, comme le constate Richard Makon, politologue, enseignant-chercheur à l’université de Yaoundé II, qui a accepté de répondre aux questions de Sputnik.

«Que l’on soit proche du MRC ou pas, que l’on soit un partisan ou pas, que l’on ait un regard consensuel par rapport à leur démarche ou pas, on se rend compte aujourd’hui que c’est le parti qui donne le la dans le fonctionnement de la vie politique camerounaise. De ce fait, on peut dire que le MRC est devenu extrêmement important, non seulement parce qu’il se bat pour qu’il y ait une extension de l’espace des libertés publiques, mais parce qu’il dicte de plus en plus la stratégie politique à mener dans son camp comme dans l’autre», analyse le politologue au micro de Sputnik.
Pour le professeur Mathias Éric Owona Nguini, universitaire et analyste politique camerounais, proche du pouvoir, également interrogé par Sputnik, on est plutôt en train d’assister à une stratégie de la terre brûlée de la part du MRC:
«La démarche du MRC a consisté à s’entêter à organiser plusieurs vagues de marches de protestation alors que le parti savait d’avance que ces marches seraient interdites: des manifestations précédentes similaires avaient entraîné l’interpellation de ses dirigeants. Aussi, il y a lieu de croire que le choix de cette stratégie relève d’un calcul politique. Est-ce une approche véritablement productive? C’est la question qu’il faut se poser, compte tenu que cela a conduit pour l’instant à une neutralisation de la direction de ce parti», commente-t-il au micro de Sputnik.

Interdites par les autorités camerounaises depuis la proclamation des résultats contestés de la présidentielle d’octobre 2018, ces marches de protestation organisées par le MRC au Cameroun et dans les pays occidentaux où réside une forte diaspora camerounaise n’ont pas cessé depuis. En cause, la proclamation par le Conseil constitutionnel quelques jours après le scrutin de la victoire du Président sortant Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, avec 71,28% des voix contre 14,23% pour le MRC.
Considérée comme un «hold-up électoral» par les partisans de Maurice Kamto, la polémique n’a pas cessé de s’amplifier depuis, aussi parce que le MRC qui affirme détenir les «vrais» procès-verbaux obtenus par ses représentants sur le terrain le jour du scrutin entend continuer à surfer politiquement sur la revendication de la «victoire volée». Un argument que le professeur Mathias Eric Owona Nguini considère comme nul et non avenu, récusant ainsi toute falsification possible des procès-verbaux ou autres pressions de la part du palais d’Etoudi sur les membres du Conseil constitutionnel:
«Il va falloir que le MRC respecte les règles du jeu, et ces règles du jeu précisent que c’est le Conseil constitutionnel qui proclame les résultats de l’élection présidentielle. Le contentieux électoral ayant été vidé, le Conseil constitutionnel a proclamé les résultats de l’élection présidentielle comme cela est prévu, aussi bien par les dispositions de la constitution que par les dispositions pertinentes du code électoral. Il n’y a donc plus lieu de contester les résultats de l’élection présidentielle une fois que le contentieux a été vidé», martèle-t-il au micro de Sputnik.
Au-delà des arguties juridiques, le docteur Richard Makon y voit, pour sa part, une stratégie politique bien huilée de la part du MRC pour faire changer la donne au sommet de l’État.
«La revendication de la victoire "volée" à l’élection présidentielle de 2018 est un élément déterminant, mais seul le MRC sait clairement quel est l’objectif final qu’il veut atteindre. Cette revendication, bien que pertinente, pourrait-elle aboutir? Difficile de le dire à ce stade… La situation actuelle au Cameroun relève tellement de la dynamique de crise qu’il est quasiment impossible, à ce stade, de savoir ce que sera l’environnement politique demain ou après-demain», commente-t-il pour Sputnik.
Alors que les principaux cadres du MRC sont toujours en prison, les autorités de Yaoundé sont-elles pour autant à l’abri d’une insurrection généralisée? Pour Mathias Eric Owona Nguini, la réponse est négative, même si la «contestation extra légale» du MRC représente, selon lui, un danger pour les institutions:
«Le MRC ne représente pas une menace de manière absolue. Il représente une menace que dans la mesure où il a choisi une stratégie de contestation extra institutionnelle et extra légale. À partir du moment où il conteste l’élection du Président de la République, cette démarche est susceptible d’entraîner une crise. C’est pour cela que, précisément, la réponse du pouvoir est une réponse de fermeté. Si le MRC n’avait pas introduit le thème de la contestation de l’élection présidentielle dans ses marches de protestation, le débat porterait sur la question du respect des libertés publiques, ce qui n’est pas le cas», estime-t-il.
Pour Richard Makon, le MRC, qu’on veuille l’admettre ouvertement ou pas, est parvenu d’une certaine façon à ébranler les partisans de Paul Biya:
«C’est le seul parti politique qui représente une menace pour le régime de Yaoundé. Là-dessus, il n’y a aucun doute. Qu’on soit militant, sympathisant ou adversaire du MRC, qu’on soit un simple citoyen ou un analyste, on est bien obligé de reconnaître que le parti qui décide de l’actualité politique aujourd’hui au Cameroun, c’est le MRC. Or, la véritable crainte pour les gouvernements, c’est la colère de la rue», explique-t-il au micro de Sputnik.

Mathias Eric Owona Nguini pense, toutefois, que le jusqu’auboutisme du MRC et de son leader Maurice Kamto vont mener le pays dans une impasse:
«Les revendications du MRC ont peu de chances d’être entendues, à partir du moment où la principale d’entre elles, c’est que son candidat prétend être le Président élu. Alors que cela est manifestement contraire au verdict de l’élection présidentielle qui a été proclamée par le Conseil constitutionnel. Dans cette perspective, il ne peut y avoir qu’un bras de fer avec le pouvoir en place puisque c’est la légitimité de la plus haute institution de l’État [le Président de la République, ndlr] qui est remise en cause par Maurice Kamto», affirme-t-il.
Pour Richard Makon, cette stratégie est, au contraire, une façon de fédérer toutes les tendances au sein du MRC qui a été formé en 2012, avec d'autres personnalités politiques.
«Les revendications d’un parti politique n’ont pas toujours vocation à être réalisées. Ces revendications permettent surtout au parti d’exister. Elles servent aussi à créer un lien permanent entre le parti politique, ses militants, ses adhérents, les sympathisants et le peuple dans sa globalité. Elles permettent également de construire un espace de rapport de force vis-à-vis de l’ordre gouvernant. Que ces revendications aboutissent ou pas n’est pas vraiment important, elles ne sont qu’un moyen d’expression d’un parti politique pour exister», analyse-t-il.

Malgré sa détention depuis fin janvier et son incarcération à la prison centrale de Kondengui à Yaoundé, Maurice Kamto, qui est accusé d’«hostilité contre la patrie» et d’«insurrection», a choisi de maintenir la pression sur les autorités de Yaoundé. Les arrestations des autres cadres du parti ne semblent pas, non plus, avoir essoufflé la dynamique de résistance engagée depuis la dernière présidentielle.
Or, pour Richard Makon, «ce n’est pas en arrêtant le directoire du MRC que l’idéologie du parti politique va disparaître ou que ses objectifs vont disparaître […]. L’arrestation de ses principaux leaders peut simplement avoir pour effet de ralentir ou d’atténuer les actions de ce parti, mais je ne pense pas que ces arrestations peuvent faire disparaître ce parti qui a démontré qu’il était sérieusement implanté», conclut-il au micro de Sputnik.
Ancien ministre de Paul Biya, en rupture de ban avec le pouvoir depuis 2011, Maurice Kamto et son parti ont réussi à mobiliser et à susciter de l’espoir au sein d’une population longtemps désabusée et fataliste. Fort de sa réputation d’avocat international ayant négocié avec succès le retour de la péninsule de Bakassi dans le giron du Cameroun, qu’il a gagné dans le cadre du différend territorial contre le Nigeria en 2002 devant la Cour internationale de justice de La Haye, il a reçu le soutien de la Commission des droits de l’Homme et des peuples, une institution de l’Union africaine qui a accepté en mai dernier d’examiner sa requête pour le recomptage des votes.
Même à la «deuxième place» lors du scrutin présidentiel du 7 octobre, selon les résultats officiels publiés par le Conseil constitutionnel, le MRC a réussi la performance de «rebattre les cartes» dans un paysage camerounais très figé, terrassant au passage une opposition jusque-là incarnée par John Fru Ndi, le leader charismatique du Social Democratic Front (SDF) et grand challenger de Paul Biya lors des élections présidentielles de 1992, 2004 et 2011.
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