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La RD Congo est en passe de réussir la première alternance démocratique de son histoire. Mais bien
que l'opposant Félix Tshisekedi ait été décrété vainqueur par la Céni, la crédibilité des résultats du scrutin est remise en cause.La République démocratique du Congo réussira-t-elle la première alternance démocratique de son histoire ? Jeudi 10 janvier, les résultats provisoires annoncés par la Commission électorale (Céni) et qui donnent l’opposant Félix Tshisekedi vainqueur avec 38,57 % des voix ont été contestés par Martin Fayulu arrivé deuxième avec 34,8 % des voix.
Selon des chiffres avancés par son équipe de campagne, le leader de la Coalition Lamuka, soutenu par Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi, aurait recueilli 61,51 % des voix contre seulement 18,86 % pour le vainqueur proclamé Félix Tshisekedi et 18,49 % pour Emmanuel Ramazani Shadary, candidat du Front commun pour le Congo (FCC), la coalition au pouvoir. Martin Fayulu a annoncé qu'il allait saisir la Cour constitutionnelle afin d'exiger le "recomptage des voix".
"Nous savons bien que la Cour constitutionnelle est composée de partisans de (Joseph) Kabila, mais nous ne voulons pas qu'ils disent que nous n'avons pas suivi la loi. Nous voulons faire tout ce que nous pouvons pour avoir un résultat juste et clair", a déclaré Martin Fayulu à la BBC, vendredi. Dans un entretien accordé la veille à Radio France Internationale (RFI), donné largement favori par les sondages avant le scrutin, il avait déjà dénoncé un "putsch électoral" et "des résultats qui n'ont rien à voir avec la vérité des urnes".
"Apparemment les chiffres avancés par Martin Fayulu sont ceux de l’Église catholique. Mais personne ne connaît les chiffres de l’Église", déclare, prudent, Antoine Glaser, spécialiste de l’Afrique et co-auteur de "Nos chers espions en Afrique"aux éditons Fayard, contacté par France 24. Martin Fayulu avait d’ailleurs exigé la publication des données que détient la Conférence épiscopale du Congo (Cenco), qui a mobilisé près de 40 000 observateurs dans les différents bureaux de vote. Juste après la proclamation des résultats provisoires, avec quatre jours de retard, l’institution réligieuse, qui a maintenu la pression sur la Commission électorale pour qu’elle respecte "la vérité des urnes", a déclaré que ces observations ne correspondent pas aux résultats du scrutin, sans pour autant avancer le nom du véritable vainqueur selon elle.
Conforté par la puissante Église catholique congolaise qui a fait part de ces observations aux représentations diplomatiques sur place, Martin Fayulu contestera sa défaite devant la justice et par les voies de recours légales comme l'ont exigé les différentes missions d’observation de l’Union africaine et sous-régionales. Mais le risque que ces contestations se transforment en violences est réel.
La France émet des doutes
Alors que les populations se sont abandonnées à des scènes de liesse à Kananga dans le Kasaï-central, fief de Félix Tshisekedi, et même dans la grande ville de Lubumbashi (sud-est) à l’annonce des résultats, des violences ont éclaté dans les fiefs du candidat perdant. À Kisangani, ville du nord-est où Martin Fayulu a drainé le plus de monde pendant sa campagne électorale, pneus et étals ont été brûlés dans les rues. Des pierres ont servi de munitions contre la police et à former des barricades, selon un correspondant de l'AFP. Le bilan est déjà de huit morts dont cinq à Kikwit, ville de l'ouest de la RD Congo et autre place forte de Martin Fayulu.
"S’il n’y a pas à un moment donné un sursaut pour une sorte de consensus, je ne vois pas comment les contestations de parts et d’autres seront évitées", explique Antoine Glaser. "Il est possible qu’il y ait des confrontations dans les différentes régions où sont implantés les différents parrains de chaque candidat. Surtout les soutiens de Martin Fayulu, qui sont Jean-Pierre Bemba, issu de [la province de] l’Équateur, et Moïse Katumbi, du Katanga. Mais le pays ne va pas se désintégrer", pense le fondateur de La Lettre du continent.
La France, par la voix de Jean-Yves Le Drian, a aussi émis des doutes sur la crédibilité des résultats d’une Céni que l’opposition avait jugé acquise au pouvoir. "Il semble bien que les résultats proclamés ne soient pas conformes aux résultats que l'on a pu constater ici ou là", a déclaré le ministre sur la chaîne d'information CNews, s’appuyant sur les chiffres de l’Église catholique. "La Conférence épiscopale du Congo a fait des vérifications, a annoncé des résultats qui étaient totalement différents." Et de pousuivre : "Il faut qu'on garde son calme, qu'on évite les affrontements et que la clarté soit faite sur ces résultats qui sont inverses à ce que l'on imaginait, à ce qui était avancé". "Cela peut mal tourner parce que M. Fayulu était a priori le leader sortant de ces élections", a ajouté le ministre des Affaires étrangères.
De son côté, le président de la Céni, Corneille Nangaa, a exhorté, vendredi, le Conseil de sécurité de l'ONU à soutenir les nouvelles autorités élues en République démocratique du Congo, mettant en garde contre une annulation du scrutin. "Nous avons aujourd'hui un président élu" et les nouvelles autorités "doivent être soutenues par la communauté internationale", a-t-il déclaré lors d'une liaison vidéo avec le Conseil de sécurité, avant d’exposer les différentes options qui s’offrent à Martin Fayulu. Soulignant que la contestation du résultat par l'Église catholique dans le pays n'était pas une surprise car elle l'avait déjà fait dans le passé. "Pour les contentieux, il n'y a que deux options. Soit confirmer les résultats de la Céni, soit annuler l'élection. Annuler l'élection voudrait dire que les institutions en place se poursuivraient", a souligné Corneille Nangaa, évoquant implicitement le maintien du président sortant Joseph Kabila, en place depuis 2001.
La RD Congo, faut-il le rappeler, a financé intégralement bon an mal an, avec plus de deux ans de retard, ces élections présidentielle, législatives et provinciales. Et les missions d’observations occidentales ont toutes été écartées du processus électoral par le pouvoir congolais.
Tshisekedi, un moindre mal pour Kabila
Pour autant, la promesse de Joseph Kabila d’une première alternance pacifique dans l’histoire du Congo est en passe d’être tenue. Le 28 décembre, il confiait dans un entretien exclusif au journal Le Monde qu’il est prêt à quitter le pouvoir, à le transmettre à celui qui sera élu, même si ce n’est pas son candidat. "Je l’ai promis. Et pour moi, une promesse est une dette. Je peux donner ma vie pour qu’elle soit honorée."
Mais bien que le président sortant s’apprête à céder son fauteuil au fils d’Étienne Tshisekedi, opposant historique au clan Kabila (père et fils), mort en 2017 à Bruxelles, Joseph Kabila abandonne-t-il réellement le pouvoir ? Anticipant une lourde défaite de son dauphin Emmanuel Ramazani Shadary, arrivé troisième avec 23,8 % des voix, le président sortant s’est discrètement rapproché de Félix Tshisekedi, décrit comme plus concilant que son père et donc manipulable, dans un but de partage du pouvoir. “Je rends hommage au président Joseph Kabila. Aujourd’hui, nous ne devons plus le considérer comme un adversaire, mais plutôt comme un partenaire de l’alternance démocratique dans notre pays”, affirmait-il lors de son premier discours de victoire au siège de l’UDPS à Kinshasa. "Joseph Kabila a choisi l’un des chefs de l’opposition qui a le moins de soutien à l’international. Il est plus faible politiquement que son père. Il est plus faible sur le plan financier que les grands parrains de Martin Fayulu. C’est une évidence que Joseph Kabila a choisi dans l’opposition le maillon faible", explique Antoine Glaser.
Un moindre mal pour le président congolais qui privilégiait une stratégie à la Medvedev-Poutine. Il n’a d’ailleurs pas exclu la possibilité de revenir en 2023. En acceptant donc une forme de cohabitation avec Félix Tshisekedi, Joseph Kabila quitte le pouvoir sans pour autant le perdre totalement. "Si Martin Fayulu arrive à s”imposer, Joseph Kabila va tout perdre", affirme Antoine Glaser. Et pour le pouvoir congolais, les enjeux financiers sont énormes. Avec ses importantes réserves minières, comme le cobalt ou le diamant, la RD Congo attise les intérêts de grands groupes miniers occidentaux. "Il y a un enjeu extrêmement important pour les grandes puissances. Joseph Kabila veut garder le pouvoir. Et garder le pouvoir voudrait aussi dire garder la manne financière", conclut Antoine Glaser.
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