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Les deux rappeurs et leurs amis ont été placés en détention provisoire dans l’attente de leur procès,
renvoyé au 6 septembre. Ils comparaissaient pour la rixe qui a éclaté mercredi à l’aéroport d’Orly.A droite de la scène, derrière les vitres qui séparent le box des prévenus de la salle, la « bande à Booba ». Sept gaillards musclés battant pavillon bas après leur garde à vue. A gauche de la scène, dans le box symétrique, la « bande à Kaaris », quatre mines tout aussi contrites depuis leur arrestation. A droite dans la salle, la « famille » Booba, tenues Ünkut (sa marque) de rigueur ; à gauche, l’importante délégation Kaaris, tenues Jeune Riche (sa marque) obligatoire. Il est 21 h 30, ce vendredi 3 août, devant la 12e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Créteil, la comparution immédiate des deux bandes qui se sont affrontées deux jours plus tôt dans une aérogare d’Orly peut enfin commencer.
Cela fait huit heures que Carlos, Kreed, et les autres gars du quartier font banquette pour ne pas perdre leur place au fond de la salle. « Ils auraient réglé ça dans la rue, ça aurait été plus vite », fanfaronnent-ils. Quand on leur demande s’ils sont plutôt Booba ou plutôt Kaaris, là, ils se cloîtrent dans un silence prudent et parlent de leur « crew » à eux, celui de leur quartier de Créteil, 2DBV, dont un des membres, STO, vient de produire une ébauche de tube : Sauf si la mort m’arrête. Bon, on ne voudrait pas en venir là.
« Pas de téléphone ! », gronde le président du tribunal en nous montrant du doigt. Son objectif à lui : maintenir la « sérénité des débats ». En milieu d’après-midi, une fausse alerte a précipité sur le parvis la petite centaine de policiers du Val-de-Marne mobilisée pour l’occasion, au cas où les aficionados des maîtres rappeurs se mettraient dans l’idée de poursuivre un clash déjà mythique. Dans le prétoire, c’est le défilé de la misère ordinaire : violences conjugales, alcoolisme, agression, trafic de drogue. Qui est aussi cet univers qui tapisse le rap, derrière les artefacts du sexe plastique, des « guns » et de la « dope ».
« Booba et consorts, ils risquent gros »
Un avocat un peu plus roué que les autres réveille la salle : « Entre la justice et ma mère, je choisis ma mère », clame-t-il, une tirade prêtée à tort à Camus mais qui ressemble à une punchline. Engouement du parterre : « Il est bon, lui, il faut prendre son numéro. » Puis désenchantement : ses clients, une obscure histoire de home-jacking (braquage à domicile) ont pris dix-huit mois ferme. « Le président est un répressif, soupire l’avocat, vous verrez, Booba et consorts, ils risquent gros. »
Pas faux. Sur le papier, c’est sept ans de prison et 100 000 euros d’amende… Voici donc enfin « the » dossier, comme l’a dit avec humour le président. Côté jardin, Me Yann Le Bras et son équipe défendent la bande à Booba (« Dos au mur la position, Le Bras la solution », chante depuis longtemps le rappeur), quand, côté jardin, un autre pénaliste, David-Olivier Kaminski, a été appelé à la rescousse par Benjamin Chulvanij, un des barons d’Universal (il est le patron de Barclay et de Def Jam, son label rap) pour encadrer les défenseurs de Kaaris et de ses sbires. Chose amusante, Universal siège des deux côtés de la salle, même si, côté Booba, la major ne fait que commercialiser les disques produits par le rappeur.
Ballet de robes noires, effets de manches, où l’on s’évertue à expliquer à la cour que « le rap c’est comme la musique classique, on aime ou on n’aime pas, mais de là à le marquer du sceau de la dangerosité… » (Me Yassine Yakouti, qui participe à la défense de Kaaris) ; que les gens qui sont dans le box ne sont pas des rappeurs mais « des pères de famille… Vous avez un chauffeur de taxi, un cuisinier diabétique de chez Disney, un éducateur dans un centre pour handicapés… », énumère Me Le Bras, en désignant tour à tour les gros bras de Booba.
Il ne s’agit pas, vu l’heure tardive et la complexité des débats liée au nombre de protagonistes, de discuter du fond de l’affaire (Qui a commencé ? Qui a tapé sur qui ? Et comment ?). « La cour va reporter le procès au 6 septembre », a en effet prévenu le président. Ce qui est en discussion, ce sont ses modalités : remise en liberté sous contrôle judiciaire ou placement en détention provisoire ? Soit plus d’un mois de prison.
Mouvement de foule, cris de colère
Vu leurs antécédents judiciaires, les avocats craignent que, pour certains, ce ne soit le cas. Or la procureure va demander le maintien en détention provisoire pour sept d’entre eux, dont les trois chanteurs-compositeurs amateurs compulsifs de clashs : Kaaris, Booba et le rappeur haïtien Gato da Bato, lequel a eu la main cisaillée par un tesson de bouteille. « Allez-vous mettre en prison de futurs innocents ? », s’insurge Me Le Bras. « Il n’y aurait qu’une seule façon de sortir libre d’ici, ce serait d’avoir un ami policier, un casque, et un quelconque passe-droit…, s’envole Me Kaminski en référence à l’affaire Benalla. Il y aurait donc deux justices en France ? » Applaudissements dans la salle. Rappel à l’ordre.
On attendait un clash des rappeurs, on a un clash de plaidoiries. Huit avocats pour onze prévenus. Tous les genres : la lyrique, l’embrouillée, la tremblante, la forte en thème, et celui qui répète sans cesse : « Je suis déçu, monsieur le Président, je suis déçu. » Les rappeurs, eux, ont reçu la consigne de la jouer tendres biches. Booba annonce que, entre lui et Kaaris, « l’abcès est crevé », et jure même que, s’il avait su que Kaaris prenait le même vol que lui pour Barcelone ce jour-là, il aurait fait en sorte de changer ses plans…
Le président de la chambre, Pierre Auda, s’amuse. Avec ses assesseurs, il surplombe ce petit monde de l’air confiant de celui qui en a vu d’autres mais savoure une journée pas ordinaire. On aurait tort de se laisser prendre à sa voix douce et à ses faux airs de Colin Firth (Le Discours d’un roi), l’homme cultive un rigorisme débonnaire. Il est clair que le choix qu’il a à faire est lourd et, comme le lui rappelle Me Kaminski, il sera « commenté par la France entière, qui n’est pas celle des salons ». S’il laisse en liberté les deux rappeurs, il leur donne l’occasion de fanfaronner ; s’il les garde en détention, il mécontente un public populaire ; s’il en libère seulement certains, ce ne peut être sur des critères homogènes, comme se plaisent à le lui démontrer les différents avocats.
Surprise, à 2 heures du matin, après plus de douze heures passées à siéger et une interruption de séance pour délibérer, il annonce qu’il renvoie tout le monde en prison sans exception, Kaaris et ses amis à Fresnes, Booba et les siens à Fleury-Mérogis. Mouvement de foule, cris de colère. « Faites évacuer la salle », ordonne-t-il d’une voix qu’il espère sereine. Acte III le 6 septembre.
Source: lemonde.fr
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